Silence! On forme.

«Silence! On tourne.» Au cinéma, cette phrase-formule est bien connue. Pas de tournage de film possible sans que les acteurs se coupent du réel en donnant vie à la fiction qu’ils interprètent. Le silence marque cette coupure. Il permet ce changement de dimension.

Le monde du silence, puis celui du bruit

Dans un livre paru tout récemment, Histoire du silence, l’historien Alain Corbin rappelle que, jusqu’à la fin des années 1960, l’école était une institution du silence. Le maître éduquait les élèves à écouter la leçon dans le silence, à travailler en silence. Il fallait entendre les mouches voler. La règle du maître et d’autres pratiques analogues servaient de punition et assuraient la mise au pas du garnement. Gare à l’élève qui ne restait pas silencieux!

Avec les années 70, la pédagogie a mis l’accent sur l’activité des élèves et plus récemment sur l’importance de l’interactivité. L’ambiance de la classe a rompu avec le silence. On l’a alors présenté comme une pratique conduisant à la passivité, à l’ennui et reposant sur la contrainte.

Sans nier ces abus autoritaires, le silence revêt des vertus qui, dans notre monde hyperconnecté, nous seraient bien utiles. Notre monde contemporain est bruyant. La parole même est devenue une suite de sons incessants. Il suffit de regarder la télévision en boucle 24 H sur 24. Avec Internet, l’accès aux informations est infini. On baigne dans le trop-plein, en plein vertige jusqu’à la nausée. À tel point que les lieux de silence sont un luxe fort prisé par une certaine classe sociale hyperactive. Du silence comme remède face à la menace de l’épuisement, de l’effondrement. Déjà dès les années 50, le philosophe suisse, Max Picard, avait repéré ce changement de société dans son livre, Le monde du silence, livre malheureusement ignoré aujourd’hui.

Les vertus du silence et le métier de formateur

Mais en quoi ces propos concernent-ils le métier de formateur? Le formateur, comme l’enseignant, est embarqué dans ce monde de l’hyperconnection. Il doit viser aussi à l’optimisation du temps et des ressources, se mouvoir dans le «toujours plus». Sans le silence qui l’habite, la parole devient un flot privé de sens. Le bavardage est une parole qui ne veut plus rien dire. Pas de pensée juste, vraie, profonde sans un silence qui la porte. Voilà pour celui qui parle.

Pour celui qui écoute, qui reçoit les propos de l’autre, pas de compréhension possible sans attention. Et l’attention a besoin de silence. Pas d’assimilation, pas de digestion de la pensée reçue sans le silence par lequel ce travail s’effectue.

Dans un monde hyperconnecté, deux façons d’y faire face. La plus répandue est le zapping. On est dans la fuite. Le zapping n’est pas la cause de l’hyperconnection mais sa conséquence. À l’époque des monastères, le zapping n’était pas possible. L’autre façon d’y faire face est de prendre le temps de la réflexion, c’est-à-dire le temps de la parole porteuse de sens, le temps de l’attention.

Dans le monde de la formation des formateurs, si j’avais une proposition à formuler, elle serait la suivante: à quand un lieu et un moment de réflexion sur les usages du silence dans l’activité professionnelle du formateur? Le silence est l’oublié de notre époque. Il serait temps qu’on le fasse passer de l’impensé au pensé. On aurait tous à y gagner. Mais chut! Je me retire sur la pointe des pieds et vous invite à méditer ce thème si vous le souhaitez.

Jean-Eudes Arnoux, Consultant en philosophie
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